Sans Retour


Léna ouvrit les yeux dans le noir.

L’écran transparent de son radioréveil lisait deux heure vingt-sept du matin, trois minutes à peine avant que son alarme ne se déclenche. Elle la désactiva aussitôt et se leva avec souplesse, réveillée et alerte. Elle ne programmait son réveil que par précaution et pour faire plaisir à sa mère. De fait, elle avait le sommeil très léger et était toujours réveillée quelques minutes en avance, en particulier comme cette nuit, en cas d’escapade nocturne. Déjà parce qu’elle était trop impatiente pour dormir une seconde de trop, et ensuite parce que si la sonnerie, bien que discrète, en venait à alerter ses parents, elle aurait à donner des explications qui ne leur plairaient pas du tout.

Et puis, cette soirée était très spéciale. 

Ses affaires étaient prêtes, soigneusement pliées sur sa chaise de bureau. Elle s’habilla en silence, enfilant un gros pull de fibre épaisse par-dessus son t-shirt pour se prémunir du froid mordant qui régnait toujours dans la forêt, quelle que soit la saison ou l’heure de la journée. 

Elle sangla son sac sur son dos et attacha ses longs cheveux blonds en un chignon serré. Deux heure trente-huit. Son sac était bien plus lourd qu’à l’accoutumée. Cela lui rappelait son projet  et la remplissait d’appréhension mêlée à une impatience difficile à contenir. Elle sortit de sa chambre sur la pointe des pieds. Heureusement, c’était la première porte du couloir, ce qui lui évitait de devoir passer devant celle de ses parents et de ses frères. Elle attrapa ses bottes dans l’entrée, défiant au passage du regard le portrait accroché près de la porte. Il s’agissait de Madame le Mère, dont les représentations se retrouvaient dans tous les appartements, les salles de classe, les halls de bâtiments administratifs et les immeubles de bureaux de la cité. Elle avait appris à la détester en silence. Elle quitta sans un bruit l’appartement. Le plus dur était passé. 

Après avoir enfilé ses bottes, elle gagna au trot la cage d’escalier la plus proche. A cause du couvre-feu, les ascenseurs étaient hors service. Heureusement, elle n’habitait que dix-huit étages au-dessus du sol courant. Sa pauvre mère en pleurerait si elle savait à quel point Léna se réjouissait de ce fait, elle qui rêvait d’un meilleur statut social, du trentième étage au moins. La jeune fille, elle, n’en avait que faire. Elle rêvait de bien autre chose.

Elle était rompu à l’exercice de dévaler les étages en courant, et arriva à peine essoufflée dans le hall d’entrée de la tour. Elle avait depuis longtemps trafiqué sa carte d’accès-logement pour qu’elle ouvre bien plus qu’elle ne le devait, en particulier les portes de service menant aux locaux techniques des étages inférieurs. Sous le niveau courant, où se trouvait les voies de circulation et la plupart des commerces et accès aux autres immeubles, se trouvaient encore plusieurs niveaux de sous-sol destinés aux véhicules, transports en commun, et aux plus basses couches sociales de la cité. S’y développaient également les réseaux labyrinthiques d’eau, d’électricité et de ventilation et leurs tunnels de maintenance. C’est là qu’elle se rendait. 

Il fallait démonter la grille de ventilation du local photovoltaïque et ramper plusieurs dizaines de mètre jusqu’à une bouche d’accès au tunnel. Quand elle avait découvert ce chemin, elle n’avait que huit ans, et s’y glisser était un jeu d’enfant. Elle en avait le double à présent et commençait sérieusement à être à l’étroit dans le conduit. Si elle grandissait encore elle aurait à trouver une autre option. Enfin, si elle y revenait un jour.

Elle avait du mal à contenir son excitation. Elle n’en pouvait plus de voir Axelle et de concrétiser enfin leur décision. Depuis des mois qu’elles en parlaient, Léna avait décrété que ça devait être ce soir : ce soir elles quitteraient l’enceinte de la ville pour marcher dans la forêt, comme à leur habitude. Mais cette fois, elles n’en reviendraient pas. 

Axelle n’avait pas refusé. De leur duo, c’était elle l’aventurière, c’est elle qui avait le plus insisté pour qu’elles se fassent cette promesse qu’un jour elles quitteraient la ville ensemble. Ce n’était pas censé être interdit, et pourtant c’était du jamais vu. Jamais elles n’avaient entendu parler d’une seule personne qui aurait ne serait-ce que tenté de mettre un pied hors des murs, à part les légendes urbaines des couloirs de l’école comme quoi les gens partaient parfois pour ne jamais revenir. La vie était tellement parfaite et riche et juste ici, pourquoi vouloir aller ailleurs ?

Ben voyons. 

Elles, elles savaient. Elles étaient persuadées que Madame le Mère, sous son joli visage et ses sourires charmeurs, était une vile manipulatrice et les tenait bel et bien sous son emprise. Il n’y avait qu’à voir ce qu’elle disait du monde extérieur, soit disant peu fréquentable comparé à l’idylle de sa cité. Comme pour les convaincre de rester. Cela marchait peut-être avec les autres, mais Léna et Axelle, du haut de leurs seize ans, ne se laissaient pas avoir.

Alors elles partiraient. C’était leur promesse, leur but, leur unique sujet de conversation quand elles étaient sûres de ne pas être entendu. Elles marcheraient dans la forêt et dans les champs de tournesol jusqu’à atteindre… eh bien, la suite. La plaine, sans doute, et, elles l’espéraient, une autre ville et une autre vie, plus libre. Il y avait forcément quelque chose d’autre, là dehors. Forcément. 

Léna courait le long du tunnel, à moitié accroupi dans l’étroit passage. Axelle habitait quelques tours plus à l’ouest et la rejoindrait de l’autre côté du mur, par une porte défectueuse qu’elles avaient découvertes il y a quelques années au fil de leurs explorations. De l’autre côté du mur, à l’air libre et non filtré cent fois par les énormes systèmes de ventilation qui ceignaient le cité, et surtout, loin de ses lumières constantes qui empêchaient à toute heure d’apercevoir les étoiles. 

Elle franchit le mur à trois heures quarante-cinq. La porte donnait sur une petite plateforme reliée au sol par un escalier métallique en mauvais état que Léna détestait emprunter, ayant toujours la crainte qu’il cède sous son poids. Finalement, elle posa un pied sur le sol graveleux de l’extérieur. De ce côté du mur la forêt s’étendait presque jusqu’à son pied, tandis que plus à l’ouest elle laissait place aux champs de tournesol. Plus jeune, elle préférait largement ces derniers. Les immenses arbres de la forêt, avec leurs énormes troncs blancs et lisses l’effrayaient, alors que les tournesols étaient bien plus bas : sa tête frôlait leur panneau quand elle passait en dessous, et leur régularité était rassurante. Qu’est-ce qu’elle aurait donné pour les voir en plein jour s’abreuver de la lumière du soleil, pivoter sur leur pied mécanique pour suivre sa course dans le ciel ! Les larges rectangles sombres devaient alors briller de mille feux. Elle ne les avait jamais vu qu’ainsi, endormi : ils étaient si sensible que même la lumière d’une torche électrique aurait pu les mettre en mouvement, ce qui n’aurait pas manqué de leur causer des ennuis.

Au début, Axelle et Léna s’allongeaient sous les tournesols, protégées du monde. Aujourd’hui, elles préféraient de loin marcher entre les arbres. Ils étaient tous plantés sans ordre apparent, vers la ville. Les recycleurs à air soufflaient le vent dans leurs trois branches, les faisant tournoyer avec une régularité hypnotique. Elles finissaient par s’allonger sur le sol dur, les yeux rivés vers le ciel, observant le ciel étoilé entrecoupé par le passage des grandes hélices blanches au-dessus de leur tête.

Ah, les étoiles ! Des centaines de points brillants, immuables, scintillants en grappe sur le ciel noir. Elles les connaissaient par cœur. Elles étaient toujours identiques, nuit  après nuit, et les deux adolescentes avaient baptisé chacune d’entre elles. Parfois elles remarquaient que l’une d’elle était éteinte et se posait mille questions sur le sujet. Quelques nuits plus tard sa lumière serait de retour.

Elles n’étaient pas les seuls à faire cela. Beaucoup de jeunes des niveaux inférieurs prenaient un malin plaisir à franchir le mur pour passer une nuit à la belle étoile. Le spectacle était extraordinaire, et c’était désobéir aux règles de Madame le Mère, ce qui les séduisait. Mais il fallait toujours prendre garde à être de retour du bon côté du mur une heure avant l’aurore, où les portes étaient scellées pour la journée. Elles n’avaient donc jamais assisté au lever du soleil.

« Nous le verrons demain matin » songea Léna, et la pensée la fit sourire. Elle avait hâte. 


Bon, Axelle était en retard. C’était habituel à vrai dire, mais ce soir Léna n’avait vraiment pas envie de l’attendre trop longtemps. C’était pire depuis que sa meilleure amie était rentrée de son séjour en maison de correction. Elle s’était fait prendre par ses parents en train de faire le mur, une nuit, et ils l’avaient bien sûr amené tout de suite au commissariat. Elle n’avait subi que les trois semaines de redressement d’usage, mais Léna voyait bien que cela l’avait beaucoup affecté. Elle refusait d’en parler, se montrait évasive sur ce qu’il s’y était passé. Ce qui était sûr, c’est que depuis, elle montrait beaucoup moins d’enthousiasmé qu’avant pour leurs petites escapades nocturnes. Léna ne pouvait pas lui en vouloir : la maison de correction était réputée pour être très dur envers ses jeunes pensionnaires. Elle avait juste envie de retrouver son amie.

Elle somnolait, assise contre le métal froid d’un tronc d’arbre, quand elle entendit la porte s’ouvrir quelque part au-dessus d’elle. Elle se redressa d’un bond, tout sourire, et suivit du regard la silhouette de son amie descendre l’escalier. Elle grimaça en l’entendant gémir sous la charge. N’y tenant plus, elle se mit à courir vers Axelle qui la réceptionna avec un sourire doux, bien qu’un peu absent. Léna l’étreignit avec force – elle débordait d’excitation. Il était quatre heure trente-deux. 

« Tu es en retard » dit-elle avec un faux air de réprimande qui fit pouffer Axelle. « Je n’en pouvais plus de t’attendre. Bon, alors, il faut qu’on… »

Un détail stoppa Léna dans sa phrase et ses pensées. Elle recula de quelques pas pour considérer Axelle, surprise.

« Où sont tes affaires ? Tu n’as pas pris ton sac ? »

Axelle perdit son sourire et sa posture s’affaissa. Elle évitait le regard de son amie qui la fixait, interdite. C’était impossible qu’Axelle ait changé d’avis. Juste impossible.

« Écoute Léna, j’ai bien réfléchi et… je ne crois pas que… que ce soit une bonne idée. » déclara-t-elle sans la regarder. Elle faisait cliqueter ses ongles les uns contre les autres, une nouvelle manie que Léna détestait. Clic, clic, clic.

« Je… quoi ? De quoi tu parles ? Pourquoi ? » bégaya-t-elle, perdue. Axelle avait mis des mois à la convaincre d’accepter l’idée, à lui parler de ce rêve, de cet espoir fou. Et Léna avait fini par y croire parce qu’Axelle était belle et forte quand elle parlait de cette autre vie avec la conviction que quelqu’un qui l’avait déjà vécu, et qu’elle était déterminé à emmener Léna avec elle, petite, douce, faible Léna qui avait à l’époque encore peur de mettre un pied hors de sa chambre après le couvre-feu.

« On est bien ici, non ? Après tout, on a tout ce qu’il nous faut. On aura bientôt fini le cycle secondaire et on pourra entrer en école supérieure, choisir un métier. Il y a plein de métier extraordinaire. Cela ne te fait pas envie ? »

Léna avait du mal à en croire ses oreilles. Elle aurait juré entendre mot pour mot le discours des conseillers d’orientation et des administrateurs de l’école à chaque discours de début d’année. Aller  à l’école, trouver un métier, fonder une famille, honorer Madame le Mère. 

Tout ce qu’elles avaient dénigré ces dernières années

« Tu ne peux pas être sérieuses !

-Mais si, répondit Axelle d’une voix douce, caressante. Allons, Léna. Au fond de toi tu sais que c’est absurde. Où irions-nous au juste ? Il n’y a pas de meilleur endroit sur terre.

-Tais-toi, tais-toi je t’en prie. Je ne te reconnais plus, je… qui a bien pu te faire avaler ça ? »

Une idée la frappa soudain, suivi d’un doute horrible qui serra sa gorge autour de sa voix. C’était une légende, un mythe, une histoire que les parents racontaient pour faire peur à leurs enfants désobéissant. Ce n’était pas possible. Elle murmura, comme si cela allait rendre la chose moins réelle si elle le disait tout bas :

« C’est ça qu’il s’est passé ? A la maison de correction ? »

« Là-bas, ils te feront filer droit », lui disait sa mère quand elle était enfant. « Eux ils te feront comprendre la chance que tu as de vivre ici, et l’importance d’obéir aux règles, à ses parents et à Madame le Mère ». D’aussi loin que remonte ses souvenirs c’était toujours exactement la même rengaine. Comprendre, obéir. Obéir, obéir. Mais elles avaient résistés, elles, ensembles, elles savaient, elles…

« Axelle, il faut qu’on parte. Aller viens, je t’en prie, il n’y a rien pour nous ici, écoute-toi parler, on croirait entendre ta mère.

-Ma mère a raison, et ma Mère aussi » répondit Axelle, appuyant le « M » du titre de leur maîtresse à tous, celle qui dirigeait leur vie, régnait sur son empire. Léna ne voulait plus croire en la méchanceté de Madame le Mère. Ce n’était que des histoires, parce qu’elles se prenaient pour des rebelles en devenir, pour des résistantes des niveaux inférieurs, mais c’était des histoires. La protectrice de leur ville ne contrôlait pas vraiment jusqu’au moindre aspect de leur existence n’est-ce pas ? Elle ne prenait pas possession de ceux qui la dérangeait pour les mettre à son service, c’était une légende, c’était idiot. Axelle croyait à tout cela, mais pas Léna. Léna voulait juste suivre Axelle. Elle voulait juste cet autre monde, parce que…

Elle tenta de prendre les mains d’Axelle dans les siennes, et celle-ci fit quelque chose qu’elle n’avait jamais fait jusqu’alors. Elle les retira d’un geste brusque et poussa durement Léna qui manqua de tomber, la rejetant totalement. Elle détourna une fois de plus le regard, les mains liées et les épaules voutées dans une posture de gêne, de honte. Ses ongles cliquetaient furieusement.

« Ma Mère désapprouve ce genre de chose » déclara Axelle d’une voix mal assurée, comme si elle avait elle-même du mal à croire à ce qu’elle disait.

Pour Léna, le monde s’arrêta de tourner.

Le monde ne l’intéressait pas. Tout ce qu’elle souhaitait, c’était être avec Axelle. C’est ce qui l’avait convaincu, de tous les arguments de son amie, c’était qu’elles pourraient être ensemble comme elles le désiraient, ce qui n’arriverait jamais, jamais dans l’enceinte de la cité. C’était la raison pour laquelle certains s’échappaient la nuit hors des murs. Pour rêver, pour vivre l’espace de quelques instants comme ils le voulaient. Pour être libre.

« Axelle, Axelle, Axelle… » implorait Léna. Elle ne pouvait rien dire d’autre. Elle pleurait, de grosses larmes roulant sur ses joues encore rosées et rebondies d’enfant. Curieusement, cela sembla toucher Axelle plus que tout le reste. Elle vacilla, incertaine, regardant autour d’elle comme si elle s’était perdue.

« Léna, ne pleure pas, Léna » marmonna-t-elle presque pour elle-même. Elle hésita à se rapprocher, le bras pendant dans le vide dans un geste avorté pour réconforter son amie. 

« Il faut qu’on parte Axelle. Il faut que tu viennes avec moi. Je t’en prie, je n’y arriverais pas toute seule… »

Léna étouffa un sanglot bruyant. Ça ne pouvait pas être en train d’arriver. Axelle représentait l’univers aux yeux de Léna, le passé, le présent et le futur, tout ce qu’elle désirait et tout ce dont elle avait besoin. Ça ne pouvait pas être en train d’arriver. 

« On ne peut pas partir » murmura Axelle sur le ton de quelqu’un qui vient de se souvenir de quelque chose d’important.

« Si. Il suffit de marcher. Axelle…

-Non, tu ne comprends pas. On ne peut pas partir. C’est impossible.

-Mais si, il faut…

-On ne peut pas Léna ! »

Léna sursauta. Axelle avait crié, et elle s’énervait. Elle serrait ses poings dans ses cheveux et sa mâchoire à l’en faire grincer. 

« On ne peut pas quitter l’enceinte. C’est ça qu’on apprend, en maison de correction. Il faut obéir. Servir Madame le Mère. Si on part, on ne revient jamais. On ne peut pas partir. Il n’y a pas de ciel. »

Elle répétait la même chose en boucle sous les yeux horrifiés de Léna, qui ne comprenait rien et ne voulait plus rien entendre. Ça n’avait pas de sens. 

« Les ventilateurs soufflent sur les arbres qui nourrissent les ventilateurs. Le soleil brille sur les tournesols qui font briller le soleil. Il n’y a pas de ciel. Madame le Mère nous protège, il faut lui être reconnaissant. Il faut l’honorer, l’aimer, la servir. On ne peut pas partir. Léna… »

Elles pleuraient toutes les deux, l’une de frustration et de peur, l’autre de désespoir. Pendant un moment seul le bruit des arbres se fit entendre dans la forêt. Jusqu’à ce qu’un lointain claquement mécanique de les fasses sursauter. Elles écarquillèrent les yeux de terreurs.

Les portes se verrouillaient. Le jour allait se lever.

Léna ne pensait plus à rien. Elle tourna les talons avec la ferme intention de courir sans se retourner, mais Axelle la retint par le poignet. Elle était paniquée, hystérique.

« Léna, rentre, je t’en supplie, rentre. Ferme les yeux, bouche-toi les oreilles, continue à vivre, Léna, Léna… 

Avec une force qu’elle ne se connaissait pas, Léna se dégagea de son emprise et se mit à courir. Elle avait abandonné son sac, elle se contentait de courir. Dans son dos Axelle hurlait son nom, la suppliant de revenir.

Soudain, tout devint noir.

Pendant une seconde Léna crut être devenu aveugle. Elle hurla de terreur et trébucha avant de lever les yeux vers le ciel. 

Les étoiles s’étaient éteintes. Elles étaient éteintes. Hors service. Le ciel était noir. Les étoiles étaient éteintes. 

Et puis elle vit loin devant elle une lumière grandir sur la ligne d’horizon, semblable à l’allumage d’une ampoule basse consommation.

Personne n’avait jamais vu un lever de soleil.

Et personne n’en verrait jamais, dans la cité. 

Elle se remit à courir, même si c’était vain. Elle imaginait déjà la milice lancée à sa recherche, elle voyait le sourire de Madame le Mère, et le visage d’Axelle, « Si on part, on ne revient jamais » et comme elles avaient toujours cru que c’était une métaphore pour dire qu’une fois la cité quittée on n’avait plus jamais envie d’y remettre les pieds. Elle ne pensa ni à ses parents ni à ses frères, ni à ses camarades d’école, mais à tous ceux qui avaient disparu au fil des années, les changements de poste impromptus sans au revoir, les montée en grade social qui faisaient gravir les étages à des gens qu’on ne revoyait ainsi plus jamais. Comme elles avaient aimé jouer aux révolutionnaires, se complaire dans l’idée qu’elles en savaient plus que leurs camarades, que elles au moins elles osaient tenir tête et dire du mal de Madame le Mère. Comme elle avait été stupide, comme Madame le Mère était intelligente, les tenait tous sous son emprise. Et Axelle, oh, Axelle.

Elle courut ainsi entre les arbres sans s’arrêter.

Jusqu’à atteindre la ligne d’horizon. Jusqu’à se cogner durement contre le ciel avec le bruit d’un coup de bâton sur une coque métallique vide.





Nouvelle écrite en Avril 2015
Thème "Futur sans étoile", contrainte "génie du mal"

Commentaires

  1. J'aime comment l'on passe dans cette histoire à une ville ceinturée que l'on croit dressé au milieu de la campagne, à comprendre petit à petit que cette forêt n'est pas une forêt, ces champs de tournesols rien d'autre que des capteurs solaires, jusqu'à se heurter au mur, au sens figuré, du dôme qui les recouvre. Le moment le plus saisissant est, je crois, lorsque toutes les étoiles s'éteignent. Et le non sens d'Axelle, du soleil qui alimente le soleil, les éoliennes qui alimentent les ventilateurs.

    Mélodie

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